PATROUILLE DES GLACIERS ZERMATT – VERBIER 2022
, ✅ Mission accomplie!😃
Le 28 avril 2022 restera à jamais gravé dans ma mémoire d’athlète. En passant la ligne d’arrivée à Verbier j’ai eu cette incroyable satisfaction mêlée à un sentiment de soulagement et de fierté que je n’avais plus ressenti depuis mes Ironman en 2018. Quelques heures auparavant, à Arolla, je disais pourtant à mes coéquipières que je n’y arriverais pas. J’avais déjà trop du puiser dans mes ressources pour combattre le froid et l’altitude à Tête Blanche.
Voici mon récit de cette course épique de 15 heures. J’espère arriver à vous la faire vivre aussi intensément que je l’ai vécue!
Zermatt, 1605m d’altitude
mercredi 27 avril, 22h15
Le coup de départ est donné. Quelques instants avant, Loubna, Mélanie et moi nous sommes serrées dans les bras pour nous encourager et pour nous rappeler ce lien qui nous unira durant ces prochaines heures. Sophie, notre cheffe de patrouille est à nos côtés. A notre grande déception elle a dû renoncer à prendre le départ suite à une complication Covid de dernière minute. Mais elle veut être avec nous à Zermatt et cette nuit à Arolla pour nous ravitailler. C’est donc bien à 4 que nous prenons le départ ce soir.
J’en profite pour remercier Sophie qui m’avait dit, il y a bientôt 8 mois, que la Patrouille des Glaciers était une aventure humaine qui crée des liens pour la vie. Je confirme…
La traversée du village de Zermatt se fait au pas de course. A nos pieds des baskets dont nous nous débarrasserons dans 8 km pour enfiler nos bottes de ski qui sont attachées à nos skis et que nous portons sur notre sac. A peine sorties du village, la sangle de fixations des skis de Mélanie se détache de son sac. Impossible de la réparer correctement. Pour ne pas perdre plus de temps nous fixons la sangle au mieux à l’aide d’un « tape » et espérons que ça tiendra lors des nombreux portages qui nous attendent.
Sans attendre nous reprenons notre pas de course et dépassons facilement quelques patrouilles durant la montée jusqu’à Oberstafel. Là nous enfilons nos bottes de ski et poursuivons encore à pied sur près de 2km dans les moraines du glacier de Zmutt. Cette marche me semble interminable, d’autant plus qu’il faut veiller à ne pas s’encoubler dans la roche irrégulière et tranchante.
Après plus de 2h de marche, pouvoir chausser les skis me fait l’effet d’une libération. Je peux enfin lever les yeux pour admirer ce ciel sans lune mais étoilé. J’aperçois la sentinelle de lampes frontales des patrouilles qui sont parties avant nous et devine le chemin qui nous attend. Quelques minutes à peine et nous arrivons déjà au poste de contrôle de Schönbiel à 2480m d’altitude. C’est là que nous nous encordons et que nous prenons notre position dans la cordée: Loubna en 1, moi en 2 et Mélanie en 3. Mélanie me tend le milieu de la corde. Je la passe à mon baudrier et fais ce noeud de guide que j’ai tant répété et révisé il y a encore quelques heures dans notre chambre d’hôtel.
Nous voilà reparties au milieu de cette nuit étoilée reliées par une corde de 30 mètres qu’il s’agit de « tendre » au mieux pour ne pas s’encoubler et ne pas se déranger l’une l’autre. Telle une pro, Loubna se fraie un chemin à travers les patrouilles que nous continuons de dépasser jusqu’au mur du Stockji. Là l’armée suisse nous a taillé des marches d’escalier parfaites dans un mur de glace. Skis sur le sac, nous grimpons ce mur presque aisément. Me voilà rassurée, j’avais entendu tellement d’histoires au sujet de ce passage que je m’attendais au pire!
Arrivée en haut, je sens un courant glacial. Sans attendre je demande à Loubna de me donner mes moufles chauffantes (je souffre de la maladie de Raynaud et la moindre sensation de froid peut provoquer chez moi une perte de sensibilité au niveau de mes doigts). Malgré ce changement de gants très rapide, c’est malheureusement déjà trop tard. Quelques minutes plus tard je ne sens plus mes doigts…
Durant l’heure qui suit, soit jusqu’à Tête Blanche, je n’utilise que peu mes mains. Je me concentre avant tout sur mes pas et sur la corde afin d’éviter des à-coups (devant et derrière) fatigants. J’essaie de me convaincre qu’il ne fait pas si froid et que j’ai beaucoup de chance par rapport à d’autres années de Patrouille. Rien à faire, j’ai l’impression que le froid envahit mon corps tout entier. Mes yeux veulent se fermer. Je titube… je lutte de toutes mes forces pour maintenir un peu de chaleur dans mon corps.
Apparue de nulle part, la tente de l’armée de Tête Blanche, point culminant de la course à 3650m d’altitude met fin à mon calvaire. Il s’agit de faire très vite. Les militaires bienveillants nous prennent nos skis pour enlever les peaux. Nous enfilons nos doudounes par-dessus les coupes-vent pour repartir sans attendre. Mais Mélanie est prise d’une panique soudaine et demande quelques minutes pour se réchauffer. Mes mains elles sont toujours endormies. On nous tend du thé chaud. Enfin, nous repartons…
La descente à skis se fait sans encombres et avec quelques freinages d’urgence pour éviter de s’emmêler dans la corde. Au Col de Bertol nous sommes autorisées à nous dés-encorder et prenons la route pour Arolla. Depuis là, tout pourrait être si facile mais les conditions s’annoncent difficiles: neige carton et, plus bas, des cailloux qui freinent notre descente à plusieurs reprises. Les militaires sont là pour nous signaler les plus gros d’entre eux.
J’aperçois les lumières d’Arolla, j’entends même un pétard qui annonce un départ de la course “A”. C’est à ce moment que je me demande quelle heure il est, je n’en ai aucune idée car je n’ai pas une seule fois regardé ma montre depuis le départ. Je lève les yeux et réalise que c’est déjà l’aube. Calcul rapide: cela fait plus de 7 heures que nous sommes en route. Bien plus que ce que nous avions pensé mettre pour cette première partie de course. Et je ne suis pas encore au ravitaillement, là où mes enfants sont postés, probablement désespérés de cette trop longue attente. Par manque de neige nous devons déchausser les skis et marcher près de 2 km à plat sur un chemin qui, en temps “normal” se fait à ski et donne un moment de répit après ce long périple.
A chaque pas je mesure l’immensité du parcours restant jusqu’à Verbier. Je me demande si j’en suis capable et suis envahie de doutes. Epuisée physiquement, j’ai l’impression d’avoir déjà tout donné. A part l’hostilité du froid et de la nuit, c’est la même distance et le même dénivelé qui m’attendent entre Arolla et Verbier. Je me tourne vers Loubna et Mélanie et leur dis que je ne crois pas être en mesure de continuer. Loubna se veut rassurante, elle comprend et me laisse choisir…
Arolla, 2000m d’altitude
jeudi 28 avril, 5h40
Dans la foule des supporters, j’aperçois mes enfants Blaise et Jason ainsi que Sophie et sa fille Juliette. En m’approchant d’eux je fonds en larmes. Je prends appui sur les épaules de mes fils et leur avoue être complètement vidée. On me tend à manger – un délice et du bouillon – que j’ai beaucoup de peine à avaler. Je suis prise de nausées et c’est là que je réalise ne pas avoir mangé depuis plusieurs heures. Tout en essayant de manger, je leur dis me sentir incapable de continuer. Leur réaction est univoque – il est exclu que j’abandonne là! – et leurs arguments trop forts face à mes doutes. Je leur en veux presque de ne pas me donner raison… Mais ils me connaissent trop bien et savent ce dont je suis capable. Après une longue pause durant laquelle je reste toujours indécise, Jason me demande de dire à haute voix que je vais terminer cette course. Bluffée, j’hésite car je sais que si je le dis je n’aurai d’autre choix que de terminer ce que j’ai commencé.
“Ok j’y vais!”
sur ces mots et sans même dire au revoir à mes supers ravitailleurs (devrais-je les appeler mes “coachs mentaux”?) je chausse mes skis et repars. Je ne fais pas non plus attention à Loubna et Mélanie pour savoir si elles sont prêtes. En fait je sais qu’elles vont vite me rattraper dans cette première montée verticale qui pour des milliers de participants représente le début de leur course, la “Petite Patrouille”. Pour nous c’est aussi comme une nouvelle course qui commence. Nous avons quitté l’hostilité de la nuit, du froid et des glaciers et entamons un parcours plus “normal”: de jour et à des altitudes moins extrêmes.
Les premiers pas me semblent difficiles et je résiste de toutes mes forces à ne pas regarder en arrière. Je quitte le confort d’Arolla et de la chaleur humaine pour ce qui – je le crains – sera un chemin interminable jusqu’à Verbier. C’est là que commence en moi un combat interne mental et physique de près de 7 heures…
Combat no 1: accepter d’être le “maillon faible” de l’équipe. Je ne prétends pas avoir pensé être meilleure que mes coéquipières mais j’imaginais que nous aurions chacune des hauts et des bas, que nous partagerions les « corvées » comme celle de porter la corde, ce que j’étais censée faire depuis Arolla. En voyant mon état de fatigue, Loubna, qui nous avait guidées de nuit et espérait un peu de « répit » avait donc proposé de la prendre dans son sac. Quant à Mélanie, elle mit l’élastique pour me « tirer ».
Il s’agit donc d’accepter la situation et surtout de ne pas laisser mon juge intérieur me dire que je suis nulle… Si je “m’entends” le dire j’intercepte la pensée et pense au mantra que je me suis répétée quelques heures avant le départ: “I am powerful, I am worthy, I am grateful for all that I am.”
Ce mantra m’amène à mon combat no 2: être reconnaissante pour ce que je suis en train de vivre. Une course splendide, organisée à la perfection, avec des femmes que j’apprécie profondément. L’aventure humaine que j’ai eu la chance de vivre avec Loubna et Sophie durant ces mois de préparation. Je pense aussi à mes enfants qui me soutiennent dans mes aventures sportives, à mes filles Lea et Kaelia qui s’organisent en ce moment même pour me retrouver à l’arrivée à Verbier. Je lève les yeux et pour la première fois depuis le début de cette longue marche je me permets d’admirer ce panorama alpin. A notre gauche le Pigne d’Arolla dans toute sa splendeur. Je souris et je pense à mon motto “dare2smile”, le nom de ma société de coaching sportif. Oser sourire dans les moments les plus durs, c’est voir la vie du bon côté et se réjouir de l’effort que je suis en train de faire aussi dur soit-il.
Nous arrivons bientôt au sommet du Col de Riedmatten à 2918m d’altitude. Là nous attend une descente dans la roche et la neige à l’aide de cordes fixes. Skis sur le sac, j’entame cette partie comme un enfant qui veut juste s’amuser après une longue journée d’école. Autour de moi certains hésitent et prennent beaucoup de précautions pour ne pas glisser. Moi je dévale la pente presque avec nonchalance et avec le sourire.
Nous sommes au Pas du Chat, là où commence la partie plate le long du Lac des Dix. Je me souviens des discussions avec Sophie et Loubna “skating ou pas skating” pour faire les 3km le long du lac. Je m’étais même entraînée pour cette partie car le skating permet de gagner du temps. Malheureusement, du fait que la matinée est bien avancée et qu’il fait très doux, la neige n’est plus assez dure et nous contraint à remettre nos peaux. Me voyant très fatiguée, Mélanie propose de me remettre à l’élastique afin de me tirer. Bien que d’une aide certaine, j’ai à partir de ce moment là l’impression de subir la course car c’est elle qui fixe le rythme de mes pas.
C’est donc un nouveau combat qui commence en moi: “un pas après l’autre”. Et voici ce que je vais faire pour les prochaines heures: compter mes pas, inlassablement…
La Barme, 2457m d’altitude
jeudi 28 avril, 10h20
Après une courte pause au ravitaillement de La Barme – encore prise de nausées je n’arrive pas à m’alimenter correctement – , nous entamons notre dernière ascension. “Seulement” 700 mètres nous séparent de la Rosablanche. Mais quand je lève les yeux et aperçois au loin le dernier mur cela me semble surhumain. Même la perspective de retrouver là-haut mon compagnon Michi, mes amis les Brunner qui nous tendront du coca et du chocolat ne parvient pas à me motiver. Mon combat, un pas après l’autre, prend alors toute son ampleur. Je divise l’ascension en plusieurs parties et visualise la première devant moi. Je me dis que cela correspond à environ 500 pas. Je baisse les yeux et me mets à compter. Au compte de 500 je lève les yeux pour constater le progrès puis… je recommence l’exercice. Avec l’aide de l’élastique et de Mélanie nous recommençons à dépasser de nombreuses patrouilles. Nous atteignons le pied du mur, là où nous mettons les skis sur le sac pour faire les 1000 marches d’escalier qui nous séparent du sommet de la Rosablanche. J’entends les cloches, les voix encourageantes des spectateurs et reconnais de loin le “hop hop hop” de Michi. A ma grande surprise, et grâce à ma tactique de compter mes pas, je dépasse encore quelques personnes et ne m’arrête qu’en haut dans les bras de mon compagnon.
La Rosablanche, 3191m d’altitude
jeudi 28 avril, 12h10
A bout de forces, je bois un peu de coca et remercie mes ravitailleurs pour leur patience car je sais qu’ils nous ont attendu longtemps! Depuis là, il n’y a presque plus que de la descente, et pourtant je ne suis pas encore rassurée. Ayant fait cette dernière partie deux fois à l’entraînement je connais et crains les derniers efforts qu’il reste à faire.
Nous repartons sans attendre. Suivies par Michi nous skions jusqu’au bas du Col de la Chaux où nous attaquons la toute dernière petite montée avant commencer notre longue descente jusqu’à Verbier. Loubna prend la tête et nous guide au mieux à travers le champ de bosses qui nous sépare encore des pistes de ski. Au moment où nous atteignons la piste elle lève les bras en signe de victoire et se met sans attendre en position de prise de vitesse. Cette fois-ci je commence à y croire vraiment et un premier sentiment de soulagement envahit tout mon corps.
Je surmonte sans broncher les dernières difficultés – à savoir déchausser et rechausser nos skis presque 10x à cause du manque de neige. A Medran, nous mettons nos skis sur le sac et commençons notre dernière course de plus de 1500m à travers le village. Alors que tout me fait mal et que je n’ai plus la force de courir, je vois ma fille Kaelia qui court vers moi. Elle me prend la main et court à mes côtés. Ses paroles encourageantes me donnent des ailes. Puis Annick (une athlète féminine que mon associé a préparé à la Grande Patrouille et qui prendra le départ de Zermatt demain) nous rejoint et me félicite pour ce truc incroyable qu’on a terminé, à TROIS!
Verbier, 1472m d’altitude
jeudi 28 avril, 13h51
Loubna, Mélanie et moi passons la ligne d’arrivée main dans la main. En levant les bras au ciel je réalise que cette incroyable victoire sur nous-mêmes n’aurait pas été possible si nous n’avions pas su nourrir ce lien qu’une corde puis un même objectif a créé entre nous il y a près de 16 heures à quelques 58 kilomètres de là.
Merci à mes super coéquipières et à Sophie pour cette aventure humaine hors normes que je n’oublierai jamais. Avec vous, j’ai appris à surmonter mes peurs, repousser mes limites et m’amuser dans un environnement qui, il y a encore quelques années, m’était presque étranger.
Merci à mes enfants et mes proches qui m’ont soutenu et qui ont cru en moi alors que moi je n’y croyais plus!
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Merci pour ce récit très intéressant qui nous raconte la Patrouille des Glaciers de l’intérieur. C’est vraiment captivant et instructif.